LA VOITURE POUR TOUS LES JOURS, LE PRÉCURSEUR DE NUREMBERG : LA COCCINELLE ZÜNDAPP

Traduit du livre de Ulrich Kubisch "Zündapp - Aufstieg und Niedergang", 1987 - Museum für Verkehr und Technik Berlin

Anecdote en guise d'introduction :

 

En 1989, j'ai eu la chance de me rendre à Berlin dans le cadre d'un voyage scolaire.

Comme j'eus bien l'occasion de parler de ma passion pour la marque Zündapp à mes hôtes, le père de mon correspondant se dit que cela m'intéresserait sans doute de visiter le musée de la technologie et des transports (Museum für Verkehr und Technik). Déception dans le musée (pourtant excellent) où il n'y avait pas l'ombre d'une Zündapp ! Le père de mon correspondant se renseigna auprès du personnel : le musée avait récupéré une grande partie de la collection de l'usine à sa fermeture, mais ne l'exposait pas par manque de place...Déception... Je me suis consolé en achetant mon premier livre sur la marque, le fameux livre de Ulrich Kubisch "Aufstieg und Niedergang" (que l'on pourrait traduire par Grandeur et décadence).

À mon retour en France, j'ai correspondu quelques temps avec le musée en leur faisant part de ma passion et en leur demandant de la documentation. À chaque fois j'obtenais une réponse très courtoise d'un certain M. Mika, toujours accompagnée de photos, stickers, livres sur la marque.

 

La Coccinelle de Volkswagen roule sur les routes du monde entier depuis plus de 50 ans. Elle a été construite et assemblée à plus de 21 millions d’exemplaires dans 20 pays et, malgré ses dimensions intérieures étroites, son moteur arrière bruyant et son pare-brise constamment embué, elle a écrit une grande page de l'histoire de l'automobile. L'ancêtre de la voiture populaire naquit à Nuremberg – dans les usines Zündapp. En 1931, Fritz Neumeyer charge le constructeur de Stuttgart Ferdinand Porsche de concevoir la "voiture du peuple" et souhaite la lancer comme une petite voiture de qualité en complément de sa production de motos. Lorsque les trois premières voitures d'essai sont opérationnelles, Neumeyer se rend compte que la production en série de la Coccinelle Zündapp-Porsche dépasse le cadre de ses possibilités et abandonne le projet.

Essais dans les allées de l'usine

La voiture du peuple façon Zündapp : avec moteur en position arrière naturellement, carrosserie profilée, compartiment à bagages à l'avant, comme sur le futur modèle à succès de Wolfsburg (la ville de Volkswagen)

Dès 1924, le patron de l'entreprise, Fritz Neumeyer, envisageait sérieusement de lancer sa propre production d'automobiles parallèlement à celle de deux roues. A Munich-Freising, il voulait construire sous licence une petite voiture du constructeur britannique Rover dans les halls de son usine "Fenag" (Fritz Neumeyer AG) - en considérant que le chemin vers la « Zündapp - petite voiture pour tous » passait nécessairement par la « Zündapp - la moto pour tous » (Ndt : slogan utilisé lors de la sortie de son premier modèle Das Motorrad für jedermann).

En 1925, deux exemplaires démontés de la Rover arrivèrent en Allemagne et furent examinés de près. Mais l'inflation empêcha la réalisation de ce projet, qui tomba rapidement dans l'oubli.

En 1931, Neumeyer réaffirma sa volonté de produire une petite voiture de qualité bon marché en plus de la production de motos. Un communiqué de presse de mai 1931 indique :

« Les usines Zündapp de Nuremberg sont sur le point de lancer la production d'une petite voiture de qualité en plus de leur production de motos. À cette fin, la production de pièces et le montage de l'usine doivent être temporairement arrêtés afin de réaliser les transformations et les extensions nécessaires. La production des motocyclettes de modèles jusqu'ici largement éprouvés sera bien sûr poursuivie et encore élargie par la création d'un milieu de gamme de la classe 350, qui est déjà en cours d'essai. »

Avec cette annonce, les usines Zündapp ont sans doute été un peu trop précoces. Zündapp avait en effet entamé des négociations avec Ferdinand Porsche à Stuttgart, mais ce n'est que fin septembre 1931 qu'un contrat de développement fut signé entre les deux partenaires. Il comprenait la construction d'une voiture de tourisme à quatre sièges et deux portes, qui devait de toute façon coûter moins de 200 marks. Dans le détail, Ferdinand Porsche s'était engagé à développer de manière constructive un véhicule complet jusqu'à l'état de préparation à la production, avec les caractéristiques suivantes (...) :

« Carrosserie : version berline (...) toit ouvrant en option, devrait avoir une entrée et une sortie faciles. La forme générale doit inspirer la modernité et séduire la clientèle par rapport aux autres petites voitures. Pour le logement des bagages, un compartiment de grande capacité doit être présent.

 

Dans la mesure du possible, le véhicule occupé par 4 personnes doit être capable de 80 km/h et la capacité de franchissement de côtes en vitesse directe doit être d'au moins 8% et celle en première vitesse d'au moins 30% (...).

 

En outre, le contrat stipulait que, tant que possible, la consommation de carburant avec véhicule chargé et une vitesse de 60 km/h ne devait pas dépasser 8L/100 km. L'autonomie devait permettre de parcourir une distance d'au moins 250 km et la consommation d'huile ne devait pas dépasser ¼ L/100 km.

La durée de vie du véhicule devait être au moins équivalente à celle d'un bon modèle standard.

Pour Ferdinand Porsche, le contrat de développement conclu avec Zündapp pour l'ancêtre de toutes les Volkswagen arrivait à point nommé. Après de longues années d'errance et de querelles chez Lohner, Austro-Daimler, Daimler-Motoren Aktiengesellschaft et Steyr, il venait de s'installer "au cœur de l'Europe", à Stuttgart, et ouvrait son propre bureau d'études. L'inscription au registre du commerce eut lieu le 25 avril 1931.

L'une des premières commandes émanait de l'usine automobile Wanderer de Chemnitz pour une voiture de milieu de gamme ("Wanderer deux litres") à la carrosserie profilée, qui avait déjà une certaine parenté avec la future Coccinelle de Wolfsburg. Sa parenté au second degré était la Coccinelle Zündapp, dont la désignation officielle était Porsche Type 12.

Quelques jours après la signature du contrat Zündapp-Porsche, Porsche envoya une équipe de son groupe de réflexion de Stuttgart à Nuremberg pour examiner de près les installations de production modernes disponibles sur place, afin d'en tenir compte autant que possible dans la conception.

Porsche était soumis à une forte pression en terme de délais. Neumeyer, le patron de Zündapp, fit mettre par écrit qu'après six mois, les premiers véhicules d'essai devaient déjà rouler sur la piste d'essai, de sorte qu'en vertu de l'article 3 du contrat, la production en série pourrait commencer après trois mois supplémentaires.

Porsche reçut une rémunération de 80 000 RM pour l'ensemble du travail, y compris la fourniture de brevets (notamment la suspension à barre de torsion) et d'autres droits de propriété industrielle, ainsi que pour les essais avec la voiture prototype ; les premiers 25 000 furent versés immédiatement à la signature du contrat.

Le concept de voiture du peuple par Zündapp présentait déjà de grandes similitudes avec la future voiture populaire de Wolfsburg : moteur derrière l'essieu arrière, boîte de vitesses à l'arrière, carrosserie profilée et roue de secours à l'avant. Des difficultés apparurent avec le groupe moto-propulseur. Ici, Zündapp manifesta des exigences particulières et s'attira ainsi régulièrement les foudres du colérique Porsche. L'accord initial prévoyait un moteur bicylindre opposés refroidi par eau de 23 cv, plus une solution alternative avec un moteur à refroidissement par air (§1) ! Mais Neumeyer et ses conseillers techniques ne tardèrent pas à faire marche arrière et critiquèrent sans cesse les propositions du moteur de Porsche qui finit par céder et en informa l'usine de Zündapp le 30 novembre 1931 :

« Si vous estimez que, pour des raisons de techniques commerciales, une voiture d'une telle valeur doit impérativement avoir plus de deux cylindres, nous vous demandons de nous le faire savoir. Dans ce cas, nous espérons pouvoir vous proposer une solution qui satisfasse les deux parties, et nous ne pensons pas que cela entraînera un dépassement du prix fixé dans le contrat qui nous lie. »

Un compromis fut trouvé : Porsche accepta la proposition de Zündapp pour un moteur en étoile à cinq cylindres, et en contrepartie fut autorisé à conserver d'autres éléments de conception critiqués par la société de Nuremberg. En fait, il est vite apparu que le concept du moteur Zündapp n'était pas adapté à un usage quotidien. Lors des essais, après seulement 10 km, l'huile sortait du moteur complètement surchauffé et le liquide de refroidissement se mettait à bouillir. Le moteur devait être déposé et re-déposé car inaccessible, même pour les plus petites réparations.

Au total, trois prototypes furent construits. Après avoir passé le stade de la planche à dessin, alors que Zündapp fournissait châssis, moteurs, boîtes de vitesses et autres équipements, Porsche faisait construire les carrosseries des véhicules expérimentaux par Reutter & Co. à Stuttgart. Deux berlines et un cabriolet furent construits selon des méthodes de construction mixtes conventionnelles.

 

Lors des essais sur route de l'ancêtre de la Coccinelle, l'huile s'échappait du moteur en étoile complètement surchauffé. Si seulement le patron de Zündapp Neumeyer avait écouté l’ingénieur Porsche...

Cependant, des carrosseries autoportantes tout acier étaient prévues pour une production ultérieure sur chaîne de montage.

En avril 1932, Ferdinand Porsche expédia les habillages en tôle à Nuremberg et les fit monter sur les châssis en attente.

Les essais furent si décevants en raison des pannes constantes du moteur que Zündapp prit rapidement ses distances avec le projet de « voiture du peuple » (ndt : « Volkswagen » en allemand). Bien qu'il eût été possible de remédier aux défauts dans un court laps de temps, Zündapp n'avait pas les moyens de faire de nouveaux investissements en raison de la crise économique mondiale. Le projet de Neumeyer de motorisation du peuple fut donc écarté pour le moment et Porsche fut libéré du contrat moyennant une indemnité de 30 000 RM. Il n'hésita pas longtemps, fit récupérer une des voitures d'essai dans le garage de son bureau d'études de Stuttgart et trouva bientôt un autre intéressé par son projet à quatre roues : la société NSU-D-Rad Vereinigte Fahrzeugwerke AG, Neckarsulm, connue sous le nom de NSU.

Alors que Zündapp mit au rebus les deux prototypes restants dans les années 1930 à Nuremberg, l'exemplaire détenu par Porsche fut enseveli dans un garage de Stuttgart en 1944 lors d'un bombardement allié. Seule consolation : le contrat original entre Zündapp et Porsche, datant de 1931, a été conservé jusqu'à ce jour et a survécu à tous les bouleversements de l'histoire de Zündapp. Il s'agit aujourd'hui de l'un des documents les plus précieux des archives du musée des transports et de la technologie de Berlin.

COMPLÉMENT EXTRAIT DU LIVRE « Zündapp – 50 Jahre Technik »

(édité par l’usine en 1967, traduction fournie par l’usine elle-même)

 

Il faut reconnaître au talent commercial du fondateur de Zündapp, alors dans la cinquantaine et encore rempli d’une activité débordante, d’avoir eu, à une époque précisément où la jeune entreprise était soumise à une rude épreuve, l’idée de réaliser un désir exprimé depuis longtemps déjà : « l’auto populaire ». Le Geheimrat Dr. Neumeyer fut le premier à lancer cette idée qui devait devenir par la suite pour le monde entier un mythe allemand. « L’auto populaire » était la continuation logique de l’idée propagée depuis 1922 : « la motorisation pour tous », la motocyclette populaire.

En septembre 1931, comme l’indique la lettre ci-dessous, le Dr. Neumeyer et le Dr. Porsche avaient conclu un accord pour la mise au point d’une « voiture populaire » (Volkswagen) – ce mot figure déjà dans le contrat. De la Porsche type 12 projetée pour Zündapp, il y eut trois prototypes. La crise économique mondiale de 1932 mit malheureusement un point final à ce plan pourtant prometteur.

 

(…) Les 80 000 Mark que Zündapp avait payés au bureau du Dr. Porsche comme frais de mise au point et d’essais peuvent être considérés comme une participation à l’honneur d’avoir presque été le père de la Volkswagen.